Le projet Malakit a prouvé qu’il était possible d’améliorer la prise en charge du paludisme dans une population mobile et difficilement accessible : les garimpeiros. Désormais, des coopérations se nouent pour apporter l’expertise guyanaise à d’autres territoires confrontés au même problème.

Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de vous parler du projet Malakit dans la Lettre Recherche. Cette expérimentation visait à améliorer la prise en charge du paludisme dans une population mobile et difficilement accessible&nbsp;– celle des garimpeiros – en leur distribuant des kits d’autodiagnostic et d’autotraitement. Les professionnels de l’hôpital de Cayenne, avec leurs partenaires du Brésil et du Suriname, ont démontré que c’était réalisable, efficace, et ce en toute sécurité. Il s’agit désormais de changer d’échelle, en pérennisant cette intervention en dehors d’un cadre de recherche sur notre territoire et en apportant l’expérience acquise en Guyane aux pays qui en feraient la demande. Dans ces deux directions, les choses bougent&nbsp;!&nbsp;<figure class="image image_resized" style="width:543px;"><img src="/uploads/Article_1_dc97c0c629.jpeg" alt="Article 1.jpeg"></figure><blockquote>Latsouk Diouf et le Dr Serigne Amdy Thiam, avec une partie de l’équipe Malakit-Curema.</blockquote>Du 7 au 24 avril, le Département Recherche Innovation Santé Publique (DRISP) a reçu la visite de deux experts du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) du Sénégal&nbsp;: le Dr Serigne Amdy Thiam, médecin de santé publique et responsable recherche et élimination du paludisme, et Latsouk Diouf, économiste de la santé. Ils espèrent déployer un programme inspiré de Malakit à partir de 2025 dans le sud-est du pays, à la frontière avec la Gambie et le Mali.&nbsp;«&nbsp;Lors d’une évaluation du plan stratégique national de lutte contre le paludisme, en 2022, nous avons identifié les populations à haut risque de contracter le paludisme au Sénégal. C’est le cas des orpailleurs, qui sont essentiellement concentrés dans la région de Kédougou.&nbsp;» Estimée à plusieurs dizaines de milliers d’individus, cette population est à 70 % d’origine étrangère, mobile et peu couverte par les services de santé du pays. «&nbsp;Outre l’activité d’orpaillage traditionnelle, on retrouve le commerce du sexe et de fortes relations avec la population locale. Il y a beaucoup de similitudes (avec la Guyane)&nbsp;», constate le Dr Thiam.&nbsp;&nbsp;Au Sénégal, le paludisme est un problème de santé majeur avec plus de 500&nbsp;000 cas par an pour une population de 17,3 millions d’habitants. C’est comme s’il y avait près de 10&nbsp;000 cas par an en Guyane (il y en a eu 308 l’an dernier). «&nbsp;Pour nous, l’approche Malakit est transférable&nbsp;», constate Latsouk Diouf, après avoir rencontré les acteurs locaux de la lutte contre le paludisme et assisté à des inclusions à Oiapoque, l’une des bases arrière des garimpeiros. Pour réaliser ce transfert, «&nbsp;nous allons nous réunir avec le Programme national de lutte contre le paludisme du Sénégal et d’éventuels financeurs, explique le Pr Maylis Douine, responsable du programme de recherche Malakit-Curema. Le projet sera porté par le Sénégal pour le Sénégal. Nous apporterons notre expertise scientifique.&nbsp;»&nbsp;

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:532px;" src="/uploads/Article_2_96b8df5877.jpg" alt="Article 2.jpg">Régulièrement invités dans des congrès internationaux sur le paludisme, les professionnels du Centre Hospitalier de Cayenne sont désormais sollicités par d’autres pays. «&nbsp;Malakit est né en Guyane. Il ne s’agit pas de remplacer les stratégies nationales qui sont déployées par les pays. Mais pour atteindre des populations que ces programmes n’arrivent pas à toucher, Malakit peut être utile, pense le Pr Maylis Douine, responsable du programme de recherche Malakit-Curema. Si nous sommes sollicités par des pays, nous apporterons notre expertise, mais ce n’est pas nous qui déploierons l’intervention.&nbsp;»&nbsp;C’est ainsi qu’en ce mois de juin, le DRISP reçoit Ipshita Brunswick, chercheuse en Inde, rencontrée il y a deux ans lors d’un séminaire à Paramaribo, au Suriname. Elle pense qu’en s’inspirant de Malakit, l’Inde pourrait toucher la population des cultivateurs sur brûlis de la région de Jhumia (nord-est). Avec le ministère de la Santé du Brésil, les discussions sont bien avancées en revanche pour déployer un projet pilote auprès des garimpeiros de l’Amapá et du Pará, «&nbsp;avant d’envisager un déploiement dans tout le pays&nbsp;», relate le Dr Alice Sanna, coordinatrice du projet Curema. «&nbsp;Le Brésil a toujours participé à nos travaux et nous a soutenus. Aujourd’hui, il y a un intérêt fort de son ministère de la Santé à décliner l’intervention de Malakit au Brésil dans les zones d’orpaillage illégal.&nbsp;»&nbsp;Des chercheurs de l’université nationale de Colombie ont également contacté les professionnels du CHC pour des problématiques similaires à la frontière avec le Venezuela. Toutes ces discussions n’aboutiront peut-être pas à des projets concrets. Le Pérou envisageait un projet similaire en direction des bûcherons illégaux de la région d’Iquitos, mais une première étude, menée avec le support du DRISP, a montré que d’autres sujets de santé publique devaient être traités en priorité.&nbsp;La coopération est également universitaire. En 2023, le Pr Douine a travaillé pendant plusieurs mois au déploiement d'une collaboration avec l’université d’Harvard, aux États-Unis. Ce rapprochement ouvre plusieurs opportunités&nbsp;: pousser plus loin l’analyse des échantillons biologiques, co-encadrer des thèses de recherche ou encore développer les études coût-efficacité d’une intervention comme Malakit. C’est justement sur cet axe médico-économique que travaille la doctorante en santé publique de l’Université d’Harvard (Etats-Unis) Katherine Budeski, en visite d’immersion en Guyane au sein du DRISP du 10 au 24 juin 2024.&nbsp;Des projets sont également développés avec Koen Peters, sociologue et anthropologue de la santé à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers (Belgique). Cette fois-ci, il s’agirait d’étudier la perception de Curema par les garimpeiros, les institutions, les médiateurs… afin d’identifier les adaptations nécessaires pour la pérennisation de ce projet.&nbsp;

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:402px;" src="/uploads/Article_3_28639c14dd.jpg" alt="Article 3.jpg">Les projets Malakit et Curema reposaient sur la distribution de kits d’autotest et d’autotraitement contre le paludisme (Malakit) +/- associés à un traitement radical pour empêcher les rechutes liées au Plasmodium vivax (Curema). Ces interventions n’étaient possibles que dans le cadre d’un projet de recherche. Ces derniers mois, le Centre Hospitalier de Cayenne et l’Agence régionale de santé ont sollicité plusieurs allègements réglementaires pour optimiser la lutte contre le paludisme en Guyane, notamment pour faire face à la récente hausse des cas. La pérennisation de la distribution des kits en faisait partie. C’est en bonne voie. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a accordé une dérogation de trois mois à la Guyane pour poursuivre la distribution aux garimpeiros de ces kits. L’objectif est que cette distribution devienne ensuite pérenne.&nbsp;

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:463px;" src="/uploads/Article_4_32bbe02ad6.jpg" alt="Article 4.jpg">«&nbsp;Si le projet Malakit a fonctionné, c’est parce qu’il y avait une volonté commune entre la France, le Brésil et le Suriname&nbsp;», constate le Dr Alice Sanna, aujourd’hui co-investigatrice du projet Curema et anciennement en charge du programme paludisme à l’ARS. En effet, le projet visait à agir sur le paludisme dans une population mobile, les garimpeiros, qui circule régulièrement entre les trois pays. «&nbsp;Nous avons des réalités différentes, mais si nous agissons d’un côté de la frontière et pas de l’autre, nos efforts seront vains. Il faut que l’on travaille ensemble.&nbsp;»&nbsp;&nbsp;De cette réflexion et des échanges réguliers entre les spécialistes de la lutte contre le paludisme est née l’idée d’une coordination à l’échelle du plateau des Guyanes, de l’Amapá jusqu’au Venezuela. Au mois de mai, ils ont publié un plaidoyer en ce sens dans le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2214109X24000470?via%3Dihub ">Lancet Global Health</a>. Le Pr Maylis Douine ainsi que les Dr Alice Sanna, Yann Lambert et Cyril Rousseau, tous médecins au Centre Hospitalier de Cayenne, figurent parmi les vingt-huit signataires.&nbsp;«&nbsp;Lors d’une rencontre au Suriname sur le sujet, le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme nous avait indiqué qu’il étudiait des solutions de financement pour un organisme de coopération régional visant l’élimination du paludisme sur le plateau des Guyanes. Une entité de coordination, avec des ressources et du personnel, permettrait de gérer ces financements. Ce plaidoyer est un premier pas pour dire quoi faire.&nbsp;»&nbsp;

Visite des experts du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) du Sénégal