Le projet de recherche Parcours d’Haïti essaie d’éclairer les déterminants de l’accès aux soins et de l’état de santé, ainsi que les facteurs associés à d’éventuelles situations de vulnérabilité sexuelle des personnes originaires d’Haïti vivant en Guyane française. Plus de deux mille personnes ont accepté d’y participer. Les premiers résultats, attendus l’an prochain, devraient aider à améliorer la prévention auprès de ces populations et donc à réduire le risque d’exposition à différentes problématiques de santé.

En 2012 et 2013, l’Agence nationale de recherche en santé (ANRS) a réalisé une enquête auprès de personnes originaires d’Afrique subsaharienne vivant en Île-de-France, l'étude ANRS Parcours, afin de déterminer leurs besoins de santé et d’améliorer les stratégies de prévention, de dépistage et de prise en soins de l’infection par le VIH et le virus de l’hépatite B. Ce travail a montré en particulier que le VIH n’est pas une « maladie des Africains » mais une « maladie de la précarité ». Dix ans après, un projet similaire est mené, en Guyane, auprès des personnes nées en Haïti et résidant en Guyane. C’est le projet Parcours d’Haïti.&nbsp;<figure class="image image_resized image-style-align-left" style="width:219px;"><img src="/uploads/Nicolas_Vignier_4512544541.png" alt="Nicolas Vignier.png"><figcaption>Pr Nicolas Vignier</figcaption></figure>«&nbsp;La genèse de ce projet, c’est la rencontre d’une problématique de santé publique et d’une problématique sociétale. C’est poser la question de la santé et de l’accès aux soins de la communauté haïtienne en Guyane, population inégalement exposée à certains problématiques de santé publique&nbsp;», retrace le Pr Nicolas Vignier, à l’origine du projet.&nbsp;&nbsp;Un projet démarré en pleine épidémie de Covid-19Infectiologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), il a travaillé sur l'enquête Parcours de 2012-2013, dans le cadre de sa thèse de sciences. Durant les grandes vacances 2020, il s’installe en Guyane pour deux ans, dans le cadre d’une mobilité-recherche. Le territoire affronte la première vague de Covid-19. Il s’investit dans la réponse à cette pandémie, mais aussi dans le maintien du suivi des personnes vivant avec le VIH ou l’hépatite B&nbsp;: «&nbsp;Assez vite, j’ai découvert les problématiques de la Guyane, l’existence de cette communauté, importante en nombre et particulière, avec des facteurs impactant négativement sa santé. J’ai compris qu’il y avait des choses à étudier pour comprendre les barrières de l’accès aux soins, au dépistage, les points à améliorer. Tout cela s’est fait naturellement.&nbsp;&nbsp;Le montage du projet connaît de nombreux soubresauts, en raison de la crise sanitaire. «&nbsp;Mais les acteurs locaux m’ont aidé à faire mûrir le projet&nbsp;», salue le Pr Vignier. Des soignants de l’hôpital de Cayenne, du centre d’investigations cliniques (CIC1424), de la Croix-Rouge française ou encore de Médecins du Monde l’aident à écrire le protocole. «&nbsp;L’hôpital et le CIC m’ont tout de suite dit que j’étais le bienvenu. On m’a donné un bureau. L’hôpital de Cayenne, qui est dans une démarche d’universitarisation, m’a intégré au Corevih Guyane et au CIC1424 pour déployer des activités de recherche en santé publique. C’était une chance, mais c’était ambitieux. Tout cela aurait pu ne pas aussi bien se passer.&nbsp;»&nbsp;De nombreux soutiensTrois organismes décident de financer le projet Parcours d’Haïti&nbsp;: l’ANRS maladies infectieuses émergentes, l’Institut Convergences et Migrations et le Sidaction. Ces financements permettent de recruter des chercheurs, des étudiants, des médiateurs pour mener l’enquête auprès d’un nombre suffisant de participants. Deux mille personnes âgées de 18 à 60 ans, nées en Haïti et vivant depuis au moins trois mois en Guyane y prennent part. Un record pour un projet de recherche en Guyane&nbsp;!&nbsp;<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:196px;" src="/uploads/mediatrice_1_a5a73dfa32.jpeg" alt="médiatrice 1.jpeg">Le terrain de l’enquête a commencé en novembre 2021. Des médiateurs interrogent les participants en s’appuyant sur une grille biographique, qui permet d’aborder de très nombreux sujets. Ces entretiens ont lieu dans les hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni, ainsi que dans les locaux de la Croix-Rouge française. Les médiateurs se déplacent ensuite dans les quartiers où est installée une importante communauté, et même jusqu’à Maripasoula. Pour toucher encore d’autres personnes, qui n’ont pas forcément de contact avec les hôpitaux, les enquêteurs utilisent la technique dite de la boule de neige&nbsp;: ils demandent aux participants d’en parler autour d’eux à d’autres personnes qui pourraient être intéressées. Cela permet d’interroger des personnes avec des profils très différents : des hommes, des femmes, de tous âges et de catégories socio-économiques différentes, installées depuis longtemps en Guyane ou depuis peu, 300 personnes vivant avec le VIH, une centaine vivant avec l’hépatite B et 1 600 autres issues de la population générale et non concernées par ces deux maladies.&nbsp;<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:244px;" src="/uploads/mediatrice_terrain_be617f2d72.jpeg" alt="médiatrice terrain.jpeg">Les dernières inclusions ont eu lieu en mai 2023 (lire notre précédent article&nbsp;:&nbsp;<a href="https://www.ght-guyane.fr/chc/article/31">https://www.ght-guyane.fr/chc/article/31</a>). Débute désormais un travail de nettoyage des données et d’analyses des réponses. De premiers articles devraient être publiés dans le courant de l’année prochaine. Ils apporteront un éclairage inédit sur les causes de la forte prévalence de certaines pathologies au sein de la communauté, le parcours de soins et les barrières que rencontrent les participants, l’accès à la prévention et leur santé mentale.&nbsp;De très nombreux partenaires participent de la réussite de ce projet (liste non exhaustive) : les établissements publics de santé de Guyane, plusieurs médecins généralistes libéraux, la Croix-Rouge française, le réseau Kikiwi, le Comede, Médecins du Monde, Entr’AIDES, ADER, l’Arbre Fromager, l’asso Viva, AIDES, la DAAC, la mairie de Matoury… Le projet est soutenu financièrement par le Centre Hospitalier de Cayenne, le COREVIH Guyane, le CIC1424 Inserm, l’ARS Guyane, l’ANRS-MIE agence autonome de l’Inserm, le Sidaction et l’Institut Convergences Migrations.&nbsp;&nbsp;&nbsp;

<figure class="image image_resized image-style-align-left" style="width:169px;"><img src="/uploads/Leslie_Alcouffe_9222f8ef3e.png" alt="Leslie Alcouffe.png"><figcaption>Leslie Alcouffe</figcaption></figure>Si le projet Parcours d’Haïti s’inspire du travail mené il y a dix ans en Île-de-France, avec les migrants d’Afrique subsaharienne, un autre travail, mené en Guyane, en a également posé les bases. En 2021, Leslie Alcouffe, docteure en pharmacie, avait interrogé sur leur santé sexuelle, un échantillon aléatoire de 382 femmes de plus de 18 ans, nées à l’étranger et consultant dans les centres de prévention santé de la Croix-Rouge française à Saint-Laurent du Maroni et Cayenne. Elle s’était aussi entretenue avec des soignants de ces centres. Son travail, dirigée par le Dr Florence Huber, ancienne coordinatrice médicale de la Croix-Rouge en Guyane, et Nicolas Vignier, avait été présenté aux Journées des soignants 2022. Il est aussi à l’origine d’un article publié dans la revue Frontiers Public Health (<a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2022.934049/full">https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpubh.2022.934049/full</a>). «&nbsp;Ça nous a donné des pistes de ce que Parcours pourrait montrer&nbsp;», se souvient le Pr Nicolas Vignier, bien que cette première étude concerne un public particulier puisque recruté dans une structure accueillant les personnes migrantes primo-arrivantes.&nbsp;Âgées pour la moitié de moins de 31 ans, ces femmes étaient originaires principalement d’Haïti (80,4%), du Suriname (8,9%) et de République Dominicaine (5,7%). Une femme sur cinq déclarait avoir été violée au cours de sa vie, plus d’une sur quatre avoir déjà accepté un rapport sexuel en échange d’argent. La même proportion avait déjà subi des violences physiques. Les équipes de soins ont également rapporté un état de santé mental dégradé chez les consultantes.&nbsp;Une précarité qui expose leur santé«&nbsp;Un des résultats fort, se souvient Leslie Alcouffe, est que les femmes migrantes sont exposées à des conditions de vie très précaires, qui les conduisent à échanger du sexe contre autre chose&nbsp;: de l’argent, de la nourriture, un logement… C’était plus d’une sur quatre alors que nous n’avions pas sélectionné les participantes. Elles ne sont pas en mesure de proposer un préservatif ou tout autre moyen de protection car c’est de la survie. On a trouvé que leur santé mentale était très dégradée et que les troubles dépressifs étaient associés au fait d’avoir recours au sexe transactionnel.&nbsp;»&nbsp;Cette étude a aussi montré de grandes différences entre les communautés. «&nbsp;Si l’on prend beaucoup de recul, sans faire de généralités, ni nier l’individualité de chaque personne, on a deux profils forts qui émergent. On a un profil de femmes originaires de la République dominicaine, qui sont des travailleuses du sexe plutôt assumées, qui sont dans des réseaux de solidarité, qui consultent, qui se protègent, qui prennent, pour certaines, la PrEP (prophylaxie préexposition, stratégie qui consiste, pour les personnes plus à risque de contracter le VIH, à prendre un médicament antirétroviral en continu) et qui connaissent le TPE (traitement post-exposition, qui consiste à prendre un médicament après une prise de risque et réduit de façon importante le risque de contracter le virus). De l’autre côté, se présentent des femmes d’origine haïtienne, très isolées, peu informées, difficiles à rencontrer, avec qui il est difficile d’échanger durant les consultations, exposées à des relations transactionnelles de façon cachée et par conséquent très vulnérables d’un point de vue de la santé sexuelle et de leurs droits.&nbsp;»&nbsp;En conclusion de ces premiers travaux, Leslie Alcouffe rappelait que «&nbsp;ces éléments sont à mettre en regard de la précarité dans laquelle les femmes évoluent : 76,7% des enquêtées décrivant une situation financière difficile, et 55,5% étant exposées à une faim sévère. Concernant le réseau de soutien, 72,5% ont déclaré n’avoir personne pour les héberger en cas de besoin. Cette précarité est aussi menstruelle&nbsp;: 73,7% des femmes ont déclaré avoir manqué de protections hygiéniques au cours des dernières semaines.&nbsp;La vulnérabilité sexuelle des femmes migrantes en Guyane est préoccupante et semble liée à la précarité dans laquelle évolue les femmes. Les mesures d’urgence (aide alimentaire, gratuité des protections hygiéniques, etc.), de moyen terme (interventions sociales et communautaires de réduction des risques sexuels, prise en charge psychologique) et de long terme (régularisation, intégration, recul des discriminations, etc.) méritent d’être renforcées.&nbsp;»&nbsp;«&nbsp;Donner des outils aux acteurs de terrain&nbsp;»Suite à cette première étude, le Pr. Nicolas Vignier lui a proposé la coordination du projet Parcours d’Haïti, dans le cadre de son doctorat de sciences (pour devenir docteure en santé publique). Deux médiatrices, qui avaient travaillé avec elle sur l’enquête à la Croix-Rouge, Annette Zephirin et Guerline Jean, l’ont suivie. D’autres les ont rejointes. «&nbsp;L’équipe du Corevih Guyane, du CIC1424, les associations et beaucoup d’autres personnes nous ont aidées, salue Leslie Alcouffe. Nous avons pu démarrer une étude beaucoup plus conséquente que la première, ciblée sur la communauté des personnes originaires d’Haïti où l’on retrouve ce cumul d’une histoire de vie difficile, de précarité, et de stigmatisation qui impacte la santé des personnes.&nbsp;»&nbsp;Dans le cadre de sa thèse, la chercheuse se concentre spécifiquement sur la santé des femmes, parmi les milliers de données recueillies pendant les deux années d’enquête. Avec de premiers constats&nbsp;: «&nbsp;Ce qui me saute aux yeux, c’est la sensation que ces personnes ont des parcours de vie très fragmentés, des histoires personnelles extrêmement lourdes, beaucoup de stigmatisation, beaucoup de souffrance. Ce sont des survivantes&nbsp;! On se retrouve avec des personnes qui ont vécu des choses comme si elles arrivaient d’un pays en guerre, sans qu’il y ait forcément cette reconnaissance internationale.&nbsp;» En effet, la situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée au cours des dernières années en Haïti pour atteindre une acmé lors de l’assassinat du président Jovenel Moïse le7 juillet 2021, entraînant un effondrement de l’Etat et la prolifération de gangs armés violents semant la peur sur une grande partie du territoire. Pourtant, parmi les 2 880 demandes d’asile déposées par des personnes originaires d’Haïti en 2022 en France, seules une sur dix (298) s’est vue accordée le statut de réfugié et 75% ont été rejetées en premier recours (rapport Ofpra 2022,&nbsp;<a href="https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf)">https://www.ofpra.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf)</a>&nbsp;Leslie Alcouffe prépare un nouvel article, «&nbsp;en s’appuyant sur un ressenti général. Ce serait très prétentieux de prétendre résoudre quelque chose d’aussi problématique. J’espère que ce travail participera d’une prise de conscience, qu’il donnera des outils aux acteurs de terrain. Quand on travaille dans le secteur de la santé publique, je pense qu’on est absolument convaincu par la prévention. On parle d’un recours plus large à la PrEP, au traitement post-exposition en cas de violences sexuelles… Si le travail de prévention et d’information est fait, nous protégerons plus de personnes. Nous améliorerons la santé globale des personnes qui ont migré, qu’elles viennent d’Haïti ou d’ailleurs.&nbsp;»&nbsp;Le travail qualitatif mené par Gabriel Brun-Rambaud dans le cadre de l’enquête Parcours d’Haïti auprès des professionnels et acteurs associatifs du territoire apporte également un éclairage sur les barrières à l’accès aux soins des personnes migrantes en Guyane et est à l’origine d’un article publié dans la revue du Comede, le Comité pour la santé des exilés (<a href="https://www.comede.org/lacces-aux-soins-des-personnes-migrantes-en-guyane-le-point-de-vue-des-acteurs-de-la-sante-et-du-social/">https://www.comede.org/lacces-aux-soins-des-personnes-migrantes-en-guyane-le-point-de-vue-des-acteurs-de-la-sante-et-du-social/</a>)&nbsp;&nbsp;

<figure class="image image_resized" style="width:370px;"><img src="/uploads/Logo_Parcours_af35219b87.PNG" alt="Logo Parcours.PNG"></figure>Avec plus de 2 000 participants, les données recueillies dans le cadre du projet Parcours bénéficient d’une puissance statistique élevée. Cela permet d’envisager des études en sous-groupes par genre, tranche d’âge, date d’arrivée en Guyane, niveau socio-professionnel, zone géographique de résidence… Le Pr Nicolas Vignier invite d’ailleurs les étudiants et les chercheurs potentiellement intéressés par ces données à ne pas hésiter à le contacter par courrier électronique à&nbsp;<a href="mailto:dr.vignier@gmail.fr">dr.vignier@gmail.fr</a>&nbsp;: «&nbsp;Nous n’avons pas vocation à laisser ces données dans les tiroirs. Il y a de nombreux sujets à traiter, par exemple sur la maternité. Nous regarderons la pertinence des projets et nous évaluerons leur faisabilité.&nbsp;»&nbsp;Aux côtés des analyses à venir sur cette large base de données, le projet Parcours d’Haïti fait déjà l’objet de quatre études secondaires, ce que les chercheurs appellent des études ancillaires.&nbsp;&nbsp;La première, portée par Gabriel Brun-Rambaud, étudiant en Master 2 santé internationale à l’université de Bordeaux (Gironde), s’intéresse au parcours de soins des personnes migrantes en Guyane, pas uniquement celles originaires d’Haïti. Elle s’appuie sur des entretiens avec des acteurs du secteur socio-éducatif et des associations intervenant dans le champ de la santé. Ses travaux ont fait l’objet d’un premier article dans la revue du Comede&nbsp;:&nbsp;<a href="https://www.comede.org/lacces-aux-soins-des-personnes-migrantes-en-guyane-le-point-de-vue-des-acteurs-de-la-sante-et-du-social/">https://www.comede.org/lacces-aux-soins-des-personnes-migrantes-en-guyane-le-point-de-vue-des-acteurs-de-la-sante-et-du-social/</a>. Un second est en relecture dans la revue scientifique Frontiers Public Health.&nbsp;Anaïs Selvelian, étudiante en Master 2 démographie à l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), a mené une enquête qualitative sur la santé mentale des personnes migrantes. Elle s’appuie sur des entretiens avec une vingtaine d’acteurs, en particulier des spécialistes de la santé mentale. «&nbsp;Ce travail n’a pas été terminé avant que l’étudiante n’arrête. Nous avons le matériel issu du travail de terrain. Il reste donc à l’analyser, précise Pr. Nicolas Vignier. Nous allons pouvoir comparer les données avec celles sur la santé mentale en Guyane issue de l’enquête régionale OMS, voir ce que les soignants pensent de la santé mentale des migrants. La question soulevée par ce sujet est de savoir s’il faut un dispositif spécifique pour la santé mentale des personnes migrantes en Guyane. C’est ce que nous souhaitons éclairer avec ces travaux.&nbsp;»&nbsp;La troisième étude ancillaire est réalisée par Marc-Alexandre Tareau, docteur en anthropologie. Elle s’intéresse à l’accès aux soins des participants et à leurs représentations de la santé en général, et plus particulièrement du VIH et de l’hépatite B (lire ci-contre).&nbsp;&nbsp;Enfin, la quatrième étude ancillaire du projet Parcours est le projet Inter-med. Celui-ci s’intéresse au recours aux médiateurs en santé pour participer en tant qu’enquêteurs au déploiement de recherches en santé. Fort de l’expérience de Parcours d’Haïti et d’autres enquêtes du Corevih Guyane et du CIC Inserm 1424, l’hypothèse des chercheurs est que la participation de médiateurs en santé est un atout pour les études en santé. Bien qu’ils ne soient pas a priori des professionnels de la recherche, ils peuvent acquérir le socle de compétences rapidement. En revanche, ils apportent une connaissance et une facilité de contact avec les populations enquêtées précieuses. Cela contribue à améliorer la qualité des données.&nbsp;«&nbsp;Nous allons également travailler avec l’Institut national d’études démographiques (Ined), qui s’intéresse au parcours de migration et à l’accès à l’emploi, annonce le Pr Nicolas Vignier. Ce n’est pas à proprement parlé un projet de recherche sur la santé.&nbsp;» Le chercheur espère également revenir d’ici à la fin de l’année, pour rencontrer les partenaires du projet pour «&nbsp;débattre avec eux d’autres axes de recherche à prioriser, des premiers résultats, des questions qui se posent sur le terrain et qui pourraient être éclairées par ces données, etc.&nbsp;».&nbsp;

<figure class="image image_resized image-style-align-left" style="width:264px;"><img src="/uploads/Marc_Alexandre_Tareau_et_deux_mediateurs_20bc513294.jpeg" alt="Marc-Alexandre Tareau et deux médiateurs.jpeg"><figcaption>Marc-Alexandre Tareau et deux médiateurs</figcaption></figure>Marc-Alexandre Tareau, docteur en anthropologie, travaille sur le projet Parcours d’Haïti, dans le cadre d’un post-doctorat. Lors d’entretiens avec un ou plusieurs participants, il les interroge sur les sujets de l’accès aux soins, de la représentation du VIH et de l’hépatite B dans la communauté haïtienne, de l’insécurité alimentaire et des stratégies mises en place pour y faire face, ou encore de l’utilisation différenciée des soins biomédicaux et de la médecine traditionnelle. Il s’agit du volet dit «&nbsp;qualitatif&nbsp;» du projet Parcours.&nbsp;L’anthropologue leur pose d’abord des questions fermées (auxquelles on répond par «&nbsp;oui&nbsp;» ou «&nbsp;non&nbsp;»). Par exemple&nbsp;: Prenez-vous des plantes pour vous soigner&nbsp;? Puis des questions ouvertes&nbsp;: Lesquelles&nbsp;? «&nbsp;L’objectif est d’amener du discours, de faire parler les participants puis d’analyser. En lisant et en relisant leurs réponses, je vois que des thématiques ressortent.&nbsp;» Les entretiens avec plusieurs participants entraînent de la discussion entre eux, amenant de nouveaux sujets sur la table. D’autant que Marc-Alexandre Tareau a déjà rencontré de nombreux membres de la communauté haïtienne, dans le cadre de ses travaux sur la pharmacopée traditionnelle. «&nbsp;Ça facilite la parole&nbsp;», constate-t-il.&nbsp;<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:161px;" src="/uploads/Marc_Alexandre_Tareau_terrain_1_424a87db11.jpeg" alt="Marc-Alexandre Tareau terrain 1.jpeg">Il suit également plusieurs tradipraticiens. Il va chercher les plantes avec eux, assiste à des soins… «&nbsp;L’objectif est de voir si les représentations que les participants ont des maladies, des soins, du système de soins méritent d’être interrogées dans la manière dont on organise le parcours de soins des patients. Les premières analyses donnent des orientations intéressantes, qui nécessitent d’être approfondies. Il y a une compréhension duale des maladies dans la communauté haïtienne, avec des maladies qui relèvent des soins biomédicaux et des maladies qui relèvent d’un équilibre chez la personne, avec un travail de prévention par les plantes et les soins magico-religieux.&nbsp;»&nbsp;&nbsp;

Parmi les deux mille participants au projet Parcours, trois cents sont porteurs du VIH, le virus pouvant conduire au sida. Un volet de l’étude va donner une idée du lieu de contamination. Pour cela, l’hôpital de Cayenne s’est associé à la Fiocruz, la principale institution de santé publique et de recherche médicale au Brésil. Avec l’accord des participants et de façon anonyme, une séquence ADN de leur virus VIH va être transmise à un laboratoire de la Fiocruz. En la comparant à d’autres souches virales, notamment celles qui circulent en Guyane et en Haïti, les chercheurs vont pouvoir dire si les contaminations ont majoritairement eu lieu avant ou après la migration.&nbsp;L’hôpital de Cayenne avait déjà étudié cette question de l’origine de l’épidémie de VIH en Guyane et de l’origine des contaminations. Les travaux du Pr Mathieu Nacher ont montré que les lignées de VIH présentes sur le territoire ont vraisemblablement été introduites par la Caraïbe et l’Amérique du Sud, dès la fin des années 1970, c’est-à-dire au tout début de l’épidémie, et qu’aujourd’hui, une grande partie des séropositifs d’origine étrangère ont été contaminés en Guyane.

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:374px;" src="/uploads/Enquete_biographique_5caee22389.jpg" alt="Enquête biographique.jpg">Le projet Parcours d’Haïti est inédit par le nombre de participants&nbsp;: 2 000 personnes ont répondu à l’enquête. C’est autant que le nombre de participants de toutes les enquêtes que l’hôpital de Cayenne pouvait mener en un an jusque-là. Le projet Parcours se distingue aussi par l’emploi de médiateurs en santé pour mener les enquêtes, interroger les participants… «&nbsp;C’est quelque chose qui se faisait déjà en Guyane mais qui est très rare ailleurs dans le monde. Dans Parcours, notre pari était de ne pas recruter des enquêteurs expérimentés mais d’aller chercher des médiateurs en santé de qualité parlant le créole haïtien et de les former au travail d’enquête et à la recherche&nbsp;», relate le Pr Nicolas Vignier. Le même choix avait été opéré localement pour des projets comme Malakit, Ise Santé, Nutri pou ti moun, et Fey darjan notamment.&nbsp;«&nbsp;Il y a un aspect méthodologique intéressant à étudier, estime le Pr Vignier. Avec le Dr. Leslie Alcouffe, nous avons donc monté une étude ancillaire sur les avantages de recourir à des médiateurs pour réaliser des enquêtes en santé, et nous avons questionné leur place dans la recherche.&nbsp;» Cette enquête Inter-med, sus-citée, ne s’intéressera pas seulement à Parcours mais aussi à d’autres projets auxquels les médiateurs ont participé. Leslie Alcouffe, coordinatrice du projet Parcours, voit un premier intérêt à avoir fait réaliser l’enquête par des médiatrices en santé&nbsp;: «&nbsp;Pour ce travail, elles posaient les questions de façon scientifique. Mais une fois les questions posées, elles réalisaient ce travail d’information en santé. Elles prenaient le temps d’expliquer qu’on ne meurt plus du VIH, qu’on peut avoir des enfants si on est traité. Quitte à avoir ces personnes avec soi pendant une heure et demie, au calme, autant faire ce travail d’information, de soutien psychologique. C’est la magie des médiatrices&nbsp;!&nbsp;»&nbsp;