Plusieurs travaux de recherche sont menés autour de la drépanocytose en Guyane. Le premier aidera à savoir si les enfants drépanocytaires souffrent plus d’asthme que les autres et, si oui, connaître l’impact de la maladie. D’autres travaux ont été réalisés pour vérifier l’intérêt d’une alternative aux traitements habituellement proposés en Guyane. Enfin, l’analyse de trente années de diagnostic prénatal de la drépanocytose, mis en place en 1992 en Guyane, révèle une situation contrastée sur le territoire.

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:233px;" src="/uploads/Portrait_Gabriel_Bafunyembaka_2a797345f9.png" alt="Portrait Gabriel Bafunyembaka.png">Lorsqu’il a rejoint le service de pédiatrie du Centre Hospitalier de l’Ouest guyanais (Chog), à Saint-Laurent du Maroni, le Dr Gabriel Bafunyembaka a été surpris. Pneumopédiatre, il a constaté «&nbsp;le nombre très importants d’enfants drépanocytaires, avec beaucoup d’hospitalisations&nbsp;». En outre, «&nbsp;quand ils se présentent aux urgences, ils présentent des symptômes d’asthme mais leur carnet de santé ne porte jamais la trace d’un diagnostic. Pourtant les médicaments contre l’asthme se révélaient efficaces. En dépit d’une incidence de la drépanocytose la plus élevée de France, aucun travail sur la relation avec l’asthme n’a jusque-là été réalisé. Un élément manque, à notre avis&nbsp;: rechercher l’asthme chez ces enfants et voir s’il n’y est pas pour quelque chose.&nbsp;»&nbsp;Dans le cadre de sa thèse de doctorat d’université, le médecin vient de lancer des travaux pour déterminer quelle part d’enfants drépanocytaires sont asthmatiques sans que cela n’ait été diagnostiqué jusque-là. En fonction des résultats, le dépistage systématique de l’asthme chez les enfants drépanocytaires pourrait être recommandé à l’avenir. «&nbsp;La question qui se pose, c’est de savoir si les symptômes que présentent ces enfants sont dus à l’asthme ou dus à l’évolution de l’atteinte pulmonaire de la drépanocytose&nbsp;», explique le Pr Narcisse Elenga, chef de service de pédiatrie au Centre Hospitalier de Cayenne.&nbsp;Le Dr Bafunyembaka s’est d’abord penché dans les dossiers médicaux de plus de 600 enfants drépanocytaires diagnostiqués en Guyane entre 2012 et 2022. Les examens cliniques des patients ou ce qu’ils racontaient de leur maladie (l’anamnèse) «&nbsp;semblent confirmer l’hypothèse de l’asthme, sans diagnostic établi toutefois, faute de disposer d’un pneumopédiatre et des outils pour le diagnostic de l’asthme ou d’allergie&nbsp;». Ce ne sont pas les seules informations qu’il a collectées. «&nbsp;J’ai constaté que, parmi tous les enfants drépanocytaires, ceux ayant des signes d’asthme arrivaient beaucoup plus souvent aux urgences pour crise vaso-occlusive (douleurs intenses au niveau des os, des mains, des pieds et des articulations) que les autres&nbsp;». Ils étaient quatre fois plus nombreux à être ensuite hospitalisés. Ces mêmes enfants «&nbsp;venaient également plus souvent aux urgences pour syndrome thoracique aigu&nbsp;», une complication grave qui est la première cause de décès de la drépanocytose. Enfin, le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) était plus élevé pour eux.&nbsp;«&nbsp;Dans trois articles rédigés, nous constatons que les enfants drépanocytaires avec une comorbidité pour l’asthme ont davantage de risque que les autres d’être hospitalisés pour crises vaso-occlusives, pour syndrome respiratoire aigu ou pour AVC. Nous souhaitons désormais vérifier si l’asthme y est pour quelque chose.&nbsp;» «&nbsp;Nous allons revoir tous les enfants drépanocytaires suivis dans les hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni. A partir de 3 ans, ils bénéficieront de tests cutanés allergologiques, d’une radiographie du thorax, d’analyses de sang et des selles. De 6 à 18 ans, ils bénéficieront également de tests respiratoires. Cela nous dira la fréquence de l’asthme chez les enfants drépanocytaires de Guyane et sa place dans leurs hospitalisations multiples. Si besoin, nous pourrons mettre en place un traitement adéquat et leur proposer un suivi de l'asthme au même titre que pour la drépanocytose.&nbsp;» Le Pr Elenga souligne l’intérêt de cette étude&nbsp;: «&nbsp;En fonction des résultats, il faudra sans doute être plus systématique dans nos recommandations pour rechercher l’asthme chez tous les enfants drépanocytaires.&nbsp;»&nbsp;&nbsp;&nbsp;

En Guyane, le diagnostic systématique de la drépanocytose est organisé depuis 1992. Un <a href="https://doi.org/10.48327/mtsi.v4i1.2024.488">article</a> publié en mars fait le point sur les trente premières années de cette activité. Sur le territoire, 0,5 % des nouveau-nés sont drépanocytaires, soit un bébé toutes les deux cents naissances. Cela représente quarante nouveaux cas par an. Leur nombre augmente chaque année, comme c’est le cas dans toute la France. Cela fait de la drépanocytose «&nbsp;la moins rare des maladies rares&nbsp;». Cette tendance a déjà conduit le gouvernement à rendre son dépistage systématique partout en France, comme c’était déjà le cas en Outre-mer.&nbsp;&nbsp;Au total, on compte 2&nbsp;000 drépanocytaires en Guyane dont environ 1&nbsp;200 sont suivis dans les hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni. L’étude de la drépanocytose a permis d’identifier des souches différentes du gène de la drépanocytose présentes en Guyane&nbsp;: sur le Maroni, elle est proche de la souche présente en Afrique de l’ouest&nbsp;; chez les personnes nées en Haïti, proche de la souche d’Afrique centrale&nbsp;; chez les habitants du littoral nés en Guyane, proche d’une souche présente à la fois en Afrique et en Inde.&nbsp;En Guyane, on sait également qu’environ 10 % de la population est porteuse du gène de la drépanocytose. Tous n’en souffrent pas pour autant puisqu’il faut avoir reçu deux gènes, l’un par son père et l’autre par sa mère, pour développer la maladie. En revanche, en étant porteuses, ces personnes sont susceptibles de transmettre le gène à leurs futurs enfants. C’est la raison pour laquelle, si l’on se sait porteur, il est recommandé de faire dépister son conjoint.&nbsp;La situation n’est pas non plus la même sur tout le territoire. C’est dans l’ouest, sur une bande allant de Saint-Laurent du Maroni à Papaïchton, en passant par Apatou et Grand-Santi, que l’on trouve le plus de personnes porteuses du gène de la drépanocytose : plus d'un habitant sur dix est concerné. Sa présence est en revanche moindre à Cayenne (6,7 % de la population), à Kourou (8,3 %), à Saint-Georges (5,4 %) et à Maripasoula (3,4 %). C’est à Iracoubo (1 %) que l’on rencontre le moins de personnes porteuses.

Contre la drépanocytose, la thérapie génique est le meilleur traitement (gold standard). Mais elle est peu accessible en raison de son coût.&nbsp; L’alternative est la greffe de moelle osseuse. Mais elle reste rare avec moins de deux mille greffés pour trente mille patients drépanocytaires en France. Trois autres traitements sont proposés en Guyane&nbsp;: l’échange transfusionnel avec le sang d’un donneur sain, l’hydroxyurée (médicament stimulant la production d’hémoglobine F) et la L-glutamine, qui bénéficie d’une autorisation temporaire d’utilisation dans l’Union européenne.&nbsp;«&nbsp;Il s’agit d’un acide aminé qui existe dans les aliments et qui est pris par les sportifs, explique le Pr Narcisse Elenga, responsable médical du centre intégré de la drépanocytose, au Centre Hospitalier de Cayenne. Des études sur les souris ont montré qu’il agit contre le stress oxydatif des globules rouges. Un laboratoire a développé un médicament, qui bénéficie d’une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis et d’une autorisation temporaire d’utilisation en Europe. En Guyane, une petite dizaine de patients l’ont reçu. Nos résultats sont intéressants.&nbsp;» Ils ont été <a href="https://doi.org/10.3389/fmed.2023.1243870 ">publiés</a> il y a un peu moins d’un an.&nbsp;«&nbsp;Nous avons pu convaincre le Centre national de référence sur la drépanocytose, à l’hôpital Henri-Mondor, de l’utiliser, poursuit le Pr Elenga. Leurs résultats sont identiques aux nôtres. Cela nous fournit donc une alternative à l’hydroxyurée, qui provoque des complications chez certaines personnes drépanocytaires ou que certains patients refusent car elle peut rendre stérile. En matière de drépanocytose, les médicaments sont dits orphelins&nbsp;», c’est-à-dire qu’ils ne pourront jamais être rentables en raison du très faible nombre de patients concernés. Leur développement ne peut donc pas être aussi rapide que pour d’autres. «&nbsp;Avoir une alternative est toujours bénéfique car cela permet d’individualiser le traitement&nbsp;», souligne le Pr Elenga.

L’équipe du centre intégré de la drépanocytose, au Centre Hospitalier de Cayenne.