Le projet Malakit visait à faire baisser le paludisme chez les orpailleurs clandestins, en leur distribuant des autotests et des kits d’autotraitement. Dans le cadre de sa thèse de doctorat d’université, le Dr Yann Lambert a mesuré l’efficacité de cette intervention.

<img class="image_resized image-style-align-left" style="width:456px;" src="/uploads/Dr_Yann_Lambert_en_entretien_e4113ad554.JPG" alt="Dr Yann Lambert en entretien">En matière de recherche interventionnelle en santé, le graal est souvent l’essai randomisé : les chercheurs distribuent au hasard les participants en deux groupes, l’un recevant l’intervention (par exemple, un nouveau traitement), l’autre non, puis comparent les résultats. Mais comment faire lorsque la population étudiée est très mobile, et qu’il n’est pas envisageable de priver certaines personnes du traitement&nbsp;? Ce fut l’un des défis du <a href="https://www.malakit-project.org">projet Malakit</a> : évaluer l’efficacité de la distribution aux garimpeiros de kits d’autodiagnostic et d’autotraitement pour réduire l’incidence de paludisme en Guyane. Yann Lambert en a fait l’objet de sa thèse de doctorat d’université, soutenue en septembre 2023. «&nbsp;Si d’un point de vue méthodologique nous avions chaussé uniquement les lunettes de la recherche clinique, nous nous serions égarés dans notre évaluation&nbsp;», explique-t-il.&nbsp;Malakit était une intervention de santé publique innovante dont il a d’abord fallu suivre le déploiement et la mise en œuvre. Ingénieur et médecin, Yann Lambert a conçu, avec le reste de l’équipe, un système d’information permettant de savoir quasiment en temps réel ce qui se passait sur les sites de distribution de Malakit, situés sur les bases arrière de l’orpaillage illégal, aux frontières de la Guyane : est-ce que les médiateurs donnent bien les kits&nbsp;? Passent-ils la bonne information&nbsp;? Touchent-ils suffisamment de monde&nbsp;? «&nbsp;Sans ces données, nous aurions été quasiment aveugles et nous n’aurions pas pu réagir dès le début des inclusions au Suriname pour affiner notre protocole, modifier la formation des médiateurs (…) Il y a des choses qu’on ne peut pas parfaitement anticiper avant le démarrage de l’intervention. Il a fallu accepter cette période de montée en charge.&nbsp;»&nbsp;L’équipe a ensuite voulu évaluer l’efficacité de Malakit. En comparant les résultats d’enquêtes transversales avant et après la mise en œuvre de Malakit, l’équipe a d’abord montré que «&nbsp;les comportements inadaptés vis-à-vis du traitement du paludisme avaient fortement baissé&nbsp;». Après Malakit, moins de garimpeiros prenaient un médicament antipaludique à la moindre fièvre, sans s’assurer qu’ils souffraient bien du paludisme. Mais comment prouver que c’est bien l’intervention et pas une autre cause qui a fait baisser le paludisme en Guyane entre 2015 (434 cas) et 2019 (212)&nbsp;? Grâce à des données du Brésil et du Suriname sur les cas importés de Guyane et a un modèle mathématique, il a montré «&nbsp;un impact très important sur Plasmodium falciparum. Il n’y a plus aucun cas au Suriname et de rares cas au Brésil. P. falciparum était en baisse et Malakit a accéléré la progression vers son élimination en Guyane.&nbsp;» L’impact a été plus modéré sur Plasmodium vivax qui provoque des réviviscences et nécessite un traitement radical. C’est tout l’objet du <a href="https://www.ght-guyane.fr/chc/article/14">projet Curema</a>.&nbsp;&nbsp;

Pour développer les outils qui lui ont permis de mesurer l’efficacité du projet Malakit, Yann Lambert a bénéficié de l’expérience du <a href="https://www.ght-guyane.fr/chc/article/55">projet MaHeVi</a>, sur les hépatites virales et le VIH sur le Maroni. Les outils développés pour Malakit servent depuis à d’autres études comme <a href="https://www.ght-guyane.fr/chc/article/47">Parcours d’Haïti</a>, <a href="https://www.ght-guyane.fr/chc/article/15">Nutri pou Ti’moun</a> ou des thèses d’internes.&nbsp;&nbsp;Malakit et les arguments en faveur de son efficacité dans le contexte de la Guyane trouvent aujourd’hui encore d’autres développement. La distribution de tests de diagnostic rapide (TDR) comme autotests, autorisée jusque-là uniquement dans le cadre de la recherche, va bénéficier d’une dérogation de trois mois en Guyane, en attendant une solution pérenne.&nbsp;Enfin, en tant que chef de clinique des universités, Yann Lambert participe à la formation des internes de médecine et des étudiants en santé de Guyane. «&nbsp;Le premier message que je leur transmets, c’est que la santé publique est une discipline interventionnelle&nbsp;: on diagnostique des problèmes de santé dans la population et on réfléchit à quelles interventions mettre en place pour y répondre, à l’échelle individuelle ou populationnelle.&nbsp;»

L’intérêt de Yann Lambert pour le développement d’outils numériques tient sans doute à son double cursus. Il s’est d’abord engagé dans des études d’ingénieur en microbiologie, dont il a été diplômé à l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Toulouse avant de continuer ses études en médecine et de se spécialiser en santé publique. «&nbsp;En santé publique, j’ai retrouvé la culture ingénieur&nbsp;: comment résout-on des problèmes&nbsp;?&nbsp;En outre, mon passage à l’Agence régionale de santé m’a éclairé sur la partie politique de la décision en santé publique. En tant que chercheurs en santé publique, nous devons apporter des éléments de preuve pour informer l’action publique.&nbsp;Nous avons un rôle politique, un engagement auprès de la population&nbsp;: conduire des travaux de recherche de qualité pour produire à la fois des connaissances éclairantes et des effets bénéfiques pour la santé de tous et toutes.&nbsp;»

Le Dr Yann Lambert (à droite) lors d'un entretien dans le cadre du projet Malakit. Photo : Stéphane Berthault